Expression des gènes homéotiques

Gènes homéotiques
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marie-claude segui
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Expression des gènes homéotiques

Message par marie-claude segui »

Bonjour,

En seconde, nous abordons la notion de gènes homéotiques qui mettent en place les plans d'organisation des animaux...
Jusqu'à ce dernier programme, si mes souvenirs sont bons, nous n'avions pas abordé ces notions dans le secondaire...
Un aspect troublant, à chaque fois que j'en parle, c'est la relation qui existe entre la "géographie" du chromosome qui porte ces gènes, et la "géographie" de l'organisation de l'animal! de voir que ces gènes sont placés et s'expriment dans l'ordre qui correspond à la mise en place de l'organisation antéro-postérieure de l'animal...
Je n'ai pas eu le temps de lire des explications qui sont, pour moi, vite complexes, donc voilà ma question:

Que connaît-on de cette corrélation spatiale entre un chromosome et un plan d'organisation anatomique?
Est-ce une simple constatation, ou bien lui a-t-on trouvé un sens? ;)

Merci pour votre participation!
Jean Deutsch
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Re: Expression des gènes homéotiques

Message par Jean Deutsch »

C’est ce qu’on appelle la question de la colinéarité entre la carte des gènes Hox sur le chromosome et celle de leur domaine d’expression le long de l’axe antéro-postérieur (A-P) du corps.

La colinéarité a été pour la première fois découverte et décrite par Ed Lewis, chez la drosophile Drosophila melanogaster, dans son étude du complexe Bithorax de gènes homéotiques. Ed Lewis a en effet montré en établissant la carte génétique de mutants homéotiques affectant le thorax et l’abdomen de la drosophile, que ces mutations étaient toutes localisées sur un petit fragment du chromosome 3, et donc formaient un complexe de gènes, qu’il a appelé Complexe Bithorax, par référence au mutant bithorax (bx) qui correspond à la mouche mutante à quatre ailes au lieu de deux, qu’il avait construite. Il a d’autre part montré que, si on alignait les effets des mutants le long de l’axe A-P, indiquant la fonction de ces gènes, cet alignement correspondait à celui de la carte génétique. La même relation a été retrouvée par Thom Kaufman, qui étudiait des mutants homéotiques affectant les parties plus antérieures du corps, la partie antérieure du thorax et la tête. Ces mutations sont groupées en un complexe de gènes, le complexe Antennapedia (ANT-C), pour lequel on retrouve la même colinéarité. Les deux complexes se trouvent sur le même chromosome 3, mais à quelque distance l’un de l’autre.

Lorsqu’on a su étudier ces gènes sur le plan moléculaire, a pu montrer que la colinéarité de fonction, mise en évidence par les mutants, était due à la colinéarité des domaines d’expression en ARN messager et en protéine, de ces gènes.
Et de plus, l’analyse moléculaire a permis de découvrir que ces gènes homéotiques des complexes possédaient un motif commun, l’homeobox, qui est la séquence d’ADN correspondant au domaine de liaison à l’ADN (l’homéodomaine) des protéines codées par ces gènes. Grâce à la découverte de ce motif, il a été possible d’isoler des gènes homologues chez d’autres animaux, et d’abord chez des mammifères et dans l’espèce humaine. On a donc affaire à une famille de gènes : le motif commun de l’homeobox est le signe que ces gènes sont issus d’un même gène ancestral commun, qui s’est multiplié par duplication au cours de l’évolution. Le fait que l’on ait retrouvé des gènes homologues chez les vertébrés indique que ces gènes ancestraux étaient présents chez l’ancêtre commun des la drosophile et des mammifères. Cet ancêtre commun est l’ancêtre commun à tous les animaux à symétrie bilatérale, les Bilatériens.
La découverte de gènes homologues entre les vertébrés et les insectes a été une surprise à l’époque (ce n’est plus le cas, et nous sommes habitués aujourd’hui à considérer que nous partageons une grande partie de notre génome avec tous les animaux). Une seconde surprise a été la découverte que chez la souris, les mutations de ces gènes, qu’à partir de ce moment on a appelés « gènes Hox », provoquaient aussi des effets homéotiques. Cela veut dire que non seulement la structure moléculaire de ces gènes est conservée, mais leur fonction dans le développement de l’animal l’est aussi, malgré toutes les différences qu’il existe entre une mouche et l’homme. Une troisième surprise a été que chez les vertébrés aussi, les gènes Hox sont groupés en complexes. On trouve quatre complexes de gènes Hox chez les vertébrés tétrapodes et jusqu’à huit chez les poissons téléostéens (comme la carpe). Ces complexes multiples chez les vertébrés résultent, on le sait aujourd’hui, de duplications entières du génome, ce qui fait qu’un seul des complexes Hox des vertébrés correspond au complexe unique (ANT-C + BX-C) de Drosophila melanogaster.

Et bien sûr on a retrouvé pour les complexes Hox des vertébrés la règle de colinéarité des domaines d’expression observée chez la drosophile. Denis Duboule a alors montré que cette colinéarité spatiale des domaines d’expression chez la souris était le résultat d’une colinéarité temporelle : comme tous les vertébrés, la souris se développe en rajoutant progressivement des parties postérieures à un primordium embryonnaire qui ne comprend essentiellement qu’une partie antérieure du futur adulte. Au cours de ce développement progressif, le gène Hox « le plus antérieur » s’exprime en premier, plus le suivant, et ainsi de suite jusqu’au gène Hox le plus postérieur. La colinéarité spatiale est donc le résultat de la colinéarité temporelle, l’expression des gènes Hox au cours de temps s’établissant progressivement dans l’ordre du complexe. Denis Duboule a alors proposé que le complexe Hox est initialement fermé (réprimé), et que son ouverture progressive serait liée à la multiplication et la prolifération cellulaire qui rajoute des parties postérieures au cours du développement. Certaines données actuelles sur les mécanismes d’expression des gènes Hox chez les vertébrés confortent cette hypothèse.

Comme l’a dit T. Dobzansky « Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Réciproquement, on peut se demander si l’évolution peut nous aider à trouver le « sens » de cette curieuse propriété, la colinéarité des gènes Hox.

Tout d’abord, les gènes Hox ne sont pas présents chez les Porifères (éponges) qui sont des animaux qui n’ont pas de cellules nerveuses. Il existe des gènes de type Hox chez les Cnidaires (anémones de mer, coraux, méduses et hydres), qui n’ont pas de plan de symétrie bilatérale, mais ces gènes sont peu nombreux et ne sont pas groupés en complexes. Les gènes Hox groupés en complexes ne sont présents que chez les animaux à symétrie bilatérale, les Bilatériens. Ils sont présents chez tous les bilatériens chez lesquels ils ont été recherchés. C’est un argument fort pour penser qu’un complexe de gènes Hox groupés était présent chez l’ancêtre commun des Bilatériens, qui remonte à l’explosion Cambrienne, il y a environ 600 millions d’années.

Toutefois, comme le montre l’exemple de la drosophile, le complexe Hox ancestral n’est pas préservé tel quel chez tous les bilatériens. Il est probable que l’ancêtre commun des bilatériens se développait à la manière des vertébrés actuels, c’est à dire en rajoutant progressivement des parties postérieures au moyen d’une zone de croissance postérieure. Il semble bien que les animaux qui ont gardé ce mode de développement ont aussi conservé un complexe Hox intact. D’autres, comme les nématodes et les ascidies ont perdu ce mode temporel au profit d’un mode suivant lequel le destin des cellules et des tissus est strictement déterminé par le lignage cellulaire, le rang de division des cellules depuis la cellule-œuf. Chez ces animaux, le complexe de gènes Hox est en morceaux. Le cas des insectes est très intéressant de ce point de vue : il est clair que l’ancêtre des insectes, comme celui de tous les arthropodes, présentait un développement progressif à partir d’une zone de croissance postérieure. Chez les insectes qui ont gardé ce type de développement, comme le ver de farine Tribolium, un coléoptère, le complexe Hox est d’un seul tenant. Au contraire, chez les insectes dits « à bande germinative longue », comme le ver à soie, Bombyx, un Lépidoptère, et les drosophiles, des Diptères, le destin des tissus est déterminé très précocement, dès le stade blastoderme, il n’y a pas de zone de croissance postérieure et le développement de l’ensemble de l’axe A-P est simultané. Chez ces insectes, le complexe Hox est en deux morceaux. On peut donc penser que la contrainte évolutive qui maintient le complexe Hox est le développement progressif temporel.
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