Centromères

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ppillot
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Centromères

Message par ppillot »

Bonjour et merci pour votre participation au forum !
Je voudrais savoir ce qui différencie les centromères des autres séquences de l'ADN d'un chromosome, et comment on explique que la réunion des chromatides jumelles se fasse à ce niveau après la réplication.
D'autre part, lorsqu'un chromosome est formé par fusion de 2 chromosomes il reste un centromère "ancestral" dans le nouveau chromosome obtenu. Celui-ci est-il "inactivé" d'une certaine façon ?
Par avance merci !
-YB-
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Re: Centromères

Message par -YB- »

Bonsoir

Trois questions en marge de mon domaine habituel, mais ce sont trois (bonnes !) questions que je comptais creuser un peu un jour ou l'autre. Donc... pourquoi pas aujourd'hui ;)

Le centromère est une drôle de structure (comme le kinétochore qui lui est attaché)... tous les aspects de son fonctionnement sont loin d'être compris !
... ce qui différencie les centromères des autres séquences de l'ADN d'un chromosome
RIEN !
On sait actuellement qu'il n'y a pas de séquence particulière d'ADN spécifique du centromère conservée chez les eucaryotes. L'analyse de l'ADN centromérique dans différents modèles montre apparemment des constantes :
- la présence de séquences répétées, en général riches en A+T (dans le cas de l'homme : séquence de 171 pb dite α satellite, répétée entre 1500 et 30000 fois. Voir le détail et un schéma clair dans cette revue)
- la présence d'hétérochromatine autour de la zone précédente
- et surtout la présence de protéines qui, elles, sont bien conservées chez les eucaryotes ! Parmi ces protéines, on trouve en particulier un variant de l'histone H3, connu sous le nom de CENP-A chez l'homme, pour lequel le nom CenH3 a été proposé récemment (voir cet excellent papier). Cette histone est intégrée à de nombreux nucléosomes centromériques (dont il a été suggéré récemment qu'ils ne seraient pas octamériques, mais tétramériques...).
Autrement dit, le centromère est avant tout marqué par la présence de nucléosomes spécifiques, et non par la présence de séquences spécifiques. L'héritage des nucléosomes au cours de la réplication permet la conservation de cette information : l'emplacement du centromère correspond donc à une information épigénétique !

L'une des meilleures illustrations que l'on puisse proposer de ce fait est l'apparition de néocentromères. Par exemple, lors d'une délétion chromosomique, le fragment délété peut comporter ou non le centromère initial. On connaît des cas pour lesquels ce fragment est conservé et transmis grâce à l'apparition d'un néocentromère ; l'un des plus étudiés est le mar(del)10, issu d'une délétion péricentrique du chromosome 10, qui donne un fragment de chromosome en forme d'anneau contenant le centromère initial et... le reste du chromosome, qui est conservé et acquiert un néocentromère. La séquence d'ADN incluse dans le néocentromère a été étudiée : elle ne se distingue en rien de la séquence initiale du locus. Seule la présence de CENP-A marque le néocentromère, qui est parfaitement fonctionnel en tant que centromère... et en tant que génome, puisque les gène de la zone concernée continuent de s'exprimer normalement... (Vous trouverez quelques éléments plus précis dans les papiers précédents. Si besoin de plus, contactez moi).

Le plus étonnant dans cette histoire reste qu'on ignore totalement comment est "choisie" la zone des néocentromères. Chez l'homme, l'analyse des données cytogénétiques permet de pointer certains domaines préférentiels (Hotspots). Aucune caractéristique particulière de ces zones n'a pu être dégagée...
... comment on explique que la réunion des chromatides jumelles se fasse à ce niveau après la réplication.
En fait, elles sont unies sur leur longueur pendant la réplication et ne séparent pas au niveau des centromères... Ceci est lié à la présence et à la régulation des cohésines.
Les cohésines sont des complexes protéiques formés de protéines appartenant à la famille SMC (Structural Maintenance of Chromosome... ce qui ne veut pas dire grand chose, en fait ! ;)). Ils sont mis en place lors de la duplication (en phase S) et permettent de maintenir les deux chromatides (décondensées) ensembles... sur toute leur longueur ! Ces cohésines sont particulièrement nombreuses dans la région du centromère (et surtout dans les régions d'hétérochromatine) ; la cause de cette localisation n'est pas vraiment comprise (implication de protéines de l'hétérochromatine ?).
Comment arrive-t-on à deux chromatides liées au niveau du centromère ?
Lors de la division cellulaire, les cohésines sont éliminées en deux étapes. La plupart sont éliminées pendant la prophase, par un processus impliquant des kinases associées aux chromosomes (Polo-like kinase, Aurora B) ; elles sont remplacées par des complexes appartenant aussi à la famille SMC, mais permettant la condensation des chromosomes (condensines). Si vous voulez des détails moléculaires, ce papier est accessible. Il y a donc une "balance" entre cohésion et condensation.
Il reste toutefois toujours quelques cohésines entre les bras des chromosomes condensés et surtout... au niveau du centromère. On a montré que les cohésines au niveau du centromère sont associées à une protéine (Shugoshin, = l'ange gardien en japonais) qui empêche leur phosphorylation (et donc leur élimination). La localisation particulière de Shugoshin est mal comprise ; elle semble liée à la présence de Bub1, une protéine du kinétochore impliquée dans le point de contrôle du cycle cellulaire en anaphase.

Puisqu'on en est là, comment l'histoire se finit-elle ?...
En anaphase, les cohésines restantes sont détruites par des protéases : les séparases. Avant l'anaphase, ces protéases sont maintenues inactives par deux mécanismes : d'une part, elles sont associées à une protéine chaperonne inhibitrice (sécurine), d'autre part, elles sont phosphorylées par le complexe cdk1/cyclineB, ce qui les inactive. L'activation de l'APC (Anaphase Promoting Complex, une ubiquitine ligase) permet une polyubiquitination de la sécurine et de la cycline B, qui sont détruites par le protéasome. La séparase est alors libre et active et peut hydrolyser les cohésines au niveau du centromère... on entre en anaphase.
Ce système moléculaire est le système effecteur du check-point mitotique.
lorsqu'un chromosome est formé par fusion de 2 chromosomes il reste un centromère "ancestral" dans le nouveau chromosome obtenu. Celui-ci est-il "inactivé" d'une certaine façon
Même sans parler de fusion, on connaît des cas dans lesquels le centromère a été relocalisé, avec inactivation de l'ancien centromère. On obtient des chromosomes pseudo-dicentriques, qui peuvent être parfaitement stables au cours des mitoses, voire des meioses (c'est le cas dans le papier cité). Les mécanismes permettant l'acquisition du nouveau centromère, comme ceux qui régissent les interactions putatives entre centromères, sont inconnus.
Impliquer ces phénomènes dans l'évolution des génomes est tentant... mais souvenez-vous que l'ADN centromérique est en général sous forme de séquences répétées. Comment ces séquences seraient-elles arrivées là ?...

De nombreuses questions qui méritent qu'on se batte pour que les futures générations aient les outils pour les aborder...
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