A propos de la revue ESpèces

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Frederic Labaune
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A propos de la revue ESpèces

Message par Frederic Labaune »

Lors du Festival de la photo animalière et de nature à Montier-en-Der, j'ai fait la rencontre de Cécile Breton, rédactrice en chef de la revue "ESpèces"
(une revue que tout naturaliste/professeur de SVT se doit de connaitre).
Après quelques échanges intéressants, nous avons convenu d'une interview afin d'en savoir un peu plus sur la revue ESpèces et sa conceptrice.

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« Calage » à l’imprimerie en septembre 2011 : les épreuves du numéro 1

(n'ayant pas pu me rendre en Corse pour mener à bien ce reportage, l'interview s'est faite pas mails et les photos m'ont été gracieusement mise à disposition par Cécile)
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Frederic Labaune
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Message par Frederic Labaune »

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20 septembre 2011, lancement de la revue dans l’amphithéâtre de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle.

FL (forum) :
Q1 : Cécile Breton, vous êtes rédactrice en chef et directrice de publication de la revue ESpèces, pouvez-vous nous raconter votre parcours et quelles ont été vos motivations pour créer cette revue ?


Cécile Breton :
J’ai fait des études d’art jusqu’en licence, puis d’anthropologie et d’archéologie protohistorique jusqu’en DEA (c’est Master II). Le reste de mon parcours doit beaucoup à la sérendipité mais, avec le recul, je me rends compte que ce qui l’a toujours dirigé c’est bien la conviction que la diffusion scientifique avait un rôle déterminant à jouer dans l’espace social.
Au cours de mes études j’ai pu me rendre compte de l’incroyable l’écart qui existait entre l’état réel de la recherche et les connaissances du grand public (et même, dans une moindre mesure, des chercheurs d’autres disciplines). Il y avait dans l’esprit des gens une sorte de grand vide entre Lucy, popularisée par Y. Coppens, et la conquête romaine ! Je jugeais terriblement dommage que l’on ne porte pas à la connaissance de tous nos savoirs sur ces périodes fascinantes et méconnues, alors qu’il est si facile d’intéresser les gens, et notamment les enfants, aux découvertes archéologiques.
En plus, c’était les débuts d’Internet et ce nouveau média avait été pris d’assaut par les originaux qui y ont vu très rapidement l'occasion de diffuser leurs théories fumeuses sur la construction des pyramides par les extraterrestres. Les sites sérieusement documentés n’existaient pas encore et ont mis beaucoup de temps à se mettre en place.
À partir de ce moment, j’ai cherché à utiliser à peu près tous les moyens que je trouvais sur ma route : le web mais aussi l’image de synthèse qui permettait de reconstituer des sites disparus ou le journalisme dans la revue Archéologia. Jusqu’à ce que je sois engagée par un éditeur spécialisé en archéologie et que je découvre le « papier ». J’y ai acquis suffisamment de connaissances pour créer un premier trimestriel de vulgarisation scientifique, Stantari, qui réunissait sciences humaines et naturelles et était centré sur la Corse. C’était aussi l’occasion de quitter Paris pour aller y vivre ! Lorsque Stantari a cessé de paraitre, dix ans après, j’en ai profité pour réaliser un vieux rêve, créer une revue « d’histoire naturelle ». Le contexte s’y prêtait, les débats sur la question environnementale envahissaient le débat public et encore une fois, le manque d’information scientifique laissait un vide très vite comblé par, entre autres, les climatosceptiques. C’est ainsi qu'Espèces est née en 2011.
Ensuite si j’aime les sciences, j’aime aussi les bêtes (je le précise, car certains pensent que c’est incompatible). Je les trouve merveilleusement belles (même les plus moches !) et fascinantes par ce qu’elles ont à nous apprendre sur la vie et, bien sûr, de nous-même grâce aux liens de parentés et aux interactions qu’elles ont avec nous. Découvrir le vivant est un plaisir en soi, mais c’est aussi le meilleur moyen de le conserver.

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Réunion du conseil scientifique en 2014 à Calvi avec : François Bonhomme, Cécile Breton, Arnaud Rafaelian, Pascal Picq, Bruno Corbara, Guillaume Lecointre, Élisabeth Dubois-Violette et Marc Cheylan.
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Message par Frederic Labaune »

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Arnaud Rafaelian, maquettiste et illustrateur d’ESpèces

Q2 : Nous ne pouvons qu’être en phase avec vos propos sur le manque d’information scientifique et la porte grande ouverte que nous laissons à des révisionnistes/obscurantistes de tout poil (je vais sans doute changer ces termes).
Nous imaginons que la conception de la revue Espèces, avec cette ambition d’amener la science au grand public, est une lourde entreprise, impossible à mener seul(e). Quelles sont les personnes qui vous accompagnent ? quels sont leurs rôles ?


Cécile Breton :
Avec les progrès de la PAO et Internet, les moyens humains pour monter un titre de presse sont moins importants qu’on le pense et j’ai eu la chance de pouvoir me former à l’ensemble des étapes de la chaine d’édition. Le problème principal c’est la mise de fonds pour lancer les premiers numéros que j’ai dû avancer personnellement, puisque les retours sur les ventes se font presque 6 mois après la mise en vente.
Mais ma première démarche a été de trouver des chercheurs pour leur soumettre le projet et qui seraient prêts à nous aider à bâtir un petit réseau d’auteurs et de soutiens « moraux ». Parmi les tout premiers il y a eu Gilles Boeuf, Guillaume Lecointre et d’autres comme Yves Coppens qui faisaient déjà partie du conseil scientifique de Stantari. Peu à peu d’autres les ont rejoints : Stéphanie Thiébault, Marc-André Selosse ou Bruno Corbara qui s’investit, en plus, en tant que conseiller éditorial et tient deux rubriques. Ils sont aujourd’hui 20 chercheurs appartenant à diverses institutions. L’idée étant de proposer aux scientifiques un espace de publication qui leur permette de s’adresser au grand public, les contraintes éditoriales sont multiples : il faut respecter la complexité des propos tout en travaillant avec eux à leur clarté, afin que les articles soient accessibles à tous. Il y a souvent un gros travail en amont pour ceux qui traitent de génétique, de physiologie ou d'évolution. De plus, tous les articles d’Espèces sont visés par au moins un des membres du conseil. Je suis toujours étonnée du temps qu’ils parviennent à consacrer aux relectures malgré leurs responsabilités sachant, qu’en plus, la vulgarisation n’est encore très valorisée dans le parcours des chercheurs.
Ce sont aussi des journalistes comme Emmanuelle Grundmann, des photographes comme Jean-Eric Fabre ou Emmanuel Boitier ou encore des illustrateurs comme Marcello Pettineo qui ont accepté de nous aider en travaillant souvent bien en dessous de leurs tarifs parce que le projet les enthousiasmait.
Le noyau dur d’ESpèces, qui assure la conception de chaque numéro et la fabrication, est composé avec moi, d'Arnaud Rafaelian qui assure la mise en page et la majeure partie des illustrations. Il a à la fois créé la maquette et le personnage de « Raymond le bousier » que l’on retrouve dans la bande dessinée. Enfin, les bénévoles de notre petite association nous aident aux relectures, à organiser des événements comme la fête de la science en Corse ou à assurer notre présence dans des salons.

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Cécile Breton au siège de la rédaction à Belgodère
(crédit Corse-Matin)
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Message par Frederic Labaune »

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Jamel Zeddam (Monsieur Z : http://www.dailymotion.com/video/xcjkiu ... shortfilms) présentant son exposition à l’occasion de la fête de la science en 2016 assisté de Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au MNHN/CNRS à sa gauche.


Q3 : Je suppose qu'une telle entreprise demande quelques moyens. Comment une telle revue est financée ?

Cécile Breton :
D’un point de vue strictement financier, nous bénéficions du soutien du Centre national du Livre (CNL) et de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE). Mais ce sont très majoritairement nos lecteurs qui nous font vivre. C’est une fierté mais aussi un petit miracle dans le contexte actuel où la presse perd 10 % de ventes tous les ans. Mais Espèces n’est pas un modèle économique pérenne parce qu’il est trop dépendant du bénévolat des auteurs, des membres de l’association et des même de professionnels. Il faut qu’on parvienne à se faire suffisamment connaitre pour assurer un avenir plus serein à la revue et que ses contributeurs soient correctement rémunérés. Merci de nous y aider ici ! La plupart des contenus bien documentés, créatifs et « populaires » sur le web, les blogs texte ou vidéo sont assurés par des gens qui ne peuvent pas en vivre (ou mal). Il n’est pas normal que la majeure partie de la diffusion des sciences soit assurée dans ces conditions et qu’elle soit laissée à la merci d'un marché concurrentiel où tout le monde sait que ce n’est pas la vérité qui se vend le mieux ! Il est temps que la vulgarisation soit considérée comme un travail, un travail difficile qui demande de la pratique et des connaissances, parce que c’est un travail indispensable. Je crois qu'avec l’élection de Trump, la société et, je l’espère, les institutions, en prendront conscience.
Mais je crois aussi beaucoup en nous, vulgarisateurs précaires, parce que nous sommes animés du même esprit et de la même passion… et qu’aucun de nous n’est riche ni ne pense à le devenir ! Et il est particulièrement important de tisser des liens entre nous et de s’entraider. Nous faisons déjà des échanges de visibilité avec des revues comme L’Oiseau magazine ou Pour la Science. Avec des éditeurs comme le Cavalier bleu avec lequel nous avons sorti un livre (La nature est-elle bien faite ? Quand le vivant nous surprend (http://www.lecavalierbleu.com/livre/la- ... bien-faite). Mais, et sans doute parce que je viens aussi du monde numérique, je crois aussi beaucoup aux échanges entre les médias « traditionnels » et les « nouveaux » supports que je ne vois pas comme des concurrents (comme certains de mes confrères), mais plutôt comme une chance d'ouverture vers d’autres publics. Nous avons, par exemple, des projets de collaborations concrètes avec le Café des sciences (http://www.cafe-sciences.org), plateforme qui fédère les meilleurs blogs scientifiques francophones.
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Joindre l’utile à l’agréable avec les contributeurs d’Espèces: le photographe Jean-Eric Fabre, le paléontologue Jean-Sébastien Steyer, le musicien Raphaël Didjaman, le sculpteur numérique Marc Boulay, le dessinateur Marcello Pettineo et le plasticien Jamel Zeddam.

Q4 : Quelles sont les différentes étapes qui mènent à l’écriture, la publication, d’un nouveau numéro ? Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus souvent ?

Cécile Breton :
Nous avons des contributeurs fidèles comme Sébastien Steyer, Guillaume Lecointre, Eric Buffetaut ou Christine Dabonneville qui rédigent les rubriques et la deuxième partie de la revue. En ce qui concerne le dossier thématique, qui fait la couverture, ce sont soit des contributions spontanées soit des demandes ciblées. Si l’article est compatible avec notre ligne éditoriale, il est ensuite soumis à l’un des membres du conseil scientifique. Nous faisons un certain nombre d’allers-retours en fonction des besoins entre le conseil, le relecteur, l’auteur et moi. Aucun texte ne part à l’imprimerie sans que les modifications soient visées par tous.
Les difficultés sont diverses, cela peut être des manques dans l’iconographie, manques difficiles à combler sachant que nous n’avons que très peu de budget, ou des problèmes de clarté dans le texte. D’une manière générale, il est tout de même très agréable de travailler avec des chercheurs car ils ont l’habitude de recevoir des avis sur leur travail et ils acceptent les questions et les modifications de bonne grâce. La fin du processus est celui de n’importe quelle publication : maquette, relectures puis envoi à l’imprimerie…
Mais c’est surtout pour assurer le travail de gestion et de promotion que nous manquons de ressources. Il faut gérer les problèmes postaux, les factures, la mise à jour du site et la présence sur les réseaux sociaux, organiser la fête de la science lorsqu’on le peut et notre présence dans les salons auxquels comme celui de Montier-en-Der (http://www.photo-montier.org/) ce qui est indispensable, ne serait-ce que pour rencontrer nos lecteurs !

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Jean-Eric Fabre explique à Montier-en-Der en 2015 comment il a réalisé une photo de collembole parue dans ESpèces
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Q5 : Vous parlez de « ligne éditoriale », qu’est ce qui guide vos choix (et la fréquence de publication) ?

Cécile Breton :
Nous ne nous soumettons pas à la tyrannie de l’actualité au sens où on l’entend habituellement dans la presse. Les articles qui paraissent dans la littérature scientifique vont être considérés comme des faits acquis par les journalistes alors que, pour un chercheur, c’est une façon de soumettre à la communauté le résultat d’une observation ou d’une expérience restreinte à un contexte précis. Cela deviendra une véritable « actualité » lorsque l’étude fera consensus… souvent bien des années après. Il y a donc un grand écart que nous ne voulons pas faire. Nous nous méfions aussi les effets d’annonce, les grands « buzz » sont souvent des informations surestimées parce qu’elles sont spectaculaires et font appel à des sentiments profonds comme la peur ou l’empathie. Mais lorsque l’on revient aux sources et que l’on remet l’étude dans son contexte, il est fréquent que le soufflé retombe !
Nous cherchons donc à mettre en avant des recherches qui atteignent aujourd’hui le consensus avec le recul nécessaire au temps de la recherche, qui sont restées dans l’ombre parce qu’elles sont difficiles d’accès (matériellement ou par leur complexité) ou qu’elles ne parlent pas de virus qui vont nous tuer ou de jolis animaux à fourrure auxquels on peut s’identifier. Espèces, est le refuge des animaux moches ou très peu exotiques ! Nous privilégions beaucoup l’explication des mécanismes évolutifs qui aboutissent à la diversité spécifique dont nous parlons, qui sont si difficiles à décrire et à comprendre et dont le grand public à souvent une image très déformée.
L’idée qui sous tend cette ligne éditoriale, c’est surtout qu’en regardant ailleurs et dans le détail on découvre facilement des sujets d’émerveillement totalement ignorés. C’est non seulement cela que j’aimerais faire « passer » mais aussi que tout le monde est capable de comprendre, au prix d’un petit effort, ces questions complexes qui nous touchent aujourd’hui directement.
Je pense que le dernier critère, c’est surtout la diversité des sujets et des disciplines qui les abordent et, dans ce domaine, nous ne manquons pas de choix !


Merci Cécile pour toutes ces réponses et pour votre accueil chaleureux. Nous allons laisser ce fil ouvert aux membres du forum pour qu'ils puissent vous poser d'éventuelles questions supplémentaires (à m'envoyer en MP, je transmettrai)


Prochain numéro…

Nous bouclons ces jours-ci le numéro 23 à paraitre en mars et j’avoue que je me suis fait encore un peu plus plaisir que d’habitude ! Le dossier est consacré aux pionniers de la recherche avec les travaux de Duméril sur l’axololt, l’exploration naturaliste de la Russie et l’origine de la confusion entre manchots et pingouins. C’est peut-être lié à mon passé d’archéologue, mais je crois que retourner un peu dans le passé donne toujours une vision plus claire de l’avenir, dit aussi combien nos connaissances ont demandé d’efforts et de tâtonnements et rappelle que les scientifiques sont des hommes, qui se trompent, souffrent et finalement y arrivent !

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ESpèces est disponible sur abonnement et au numéro par correspondance : http://www.especes.org
contact@bopresse.fr/05 65 81 54 86
En PDF sur http://www.scopalto.com
Sur tablette et smartphone via l’application Espèces (IOS et Android)
Blog de la revue : http://revue-especes.blogspot.fr
Facebook : revue.Especes et Twitter : Especes_revue
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