Expérience virtuelle et réel

Verrouillé
clemss
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Expérience virtuelle et réel

Message par clemss »

Bonjour,
Pour apprendre à conduire, à voler, on peut s'entrainer sur des machines de simulation.
Leur pratique est un apprentissage qui met en place des connections nerveuses.

L'enjeu de certains jeux vidéos est d'apprendre à tuer...
les joueurs affirment toujours haut et fort: ce n'est qu'un jeu.

La pratique de ces jeux ne lève-t- elle pas des inhibitions mises en place par l'éducation?
le fait que la pratique de ces jeux soit très répandue est elle un facteur qui peut minorer leur impact?
Y a t-il des études sur ce thème?
Vous remerciant de votre réponse.
Jean-Michel HUPE
Messages : 13
Enregistré le : 06 nov. 2014, 16:29

Re: Expérience virtuelle et réel

Message par Jean-Michel HUPE »

Bonjour,
Oui, il y a de nombreuses études sur ce thème ; avant les jeux vidéo, c’était la violence à la télévision. Mais les résultats de différentes études semblent contradictoires. Si une relation existe, elle ne doit pas être très forte, sinon elle aurait été facilement observée. Le problème est évidemment l’ensemble des autres facteurs, très difficiles à contrôler. Sans doute les enfants qui jouent beaucoup montrent en moyenne plus d’agressivité et moins d’empathie, mais cela ne fait pas de tous des personnes violentes à l’âge adulte.
Sur le fond, vous avez raison. Nous sommes des machines à nous adapter à notre environnement, donc passer des heures à jouer à des jeux violents a forcément un impact sur notre cerveau, sur notre façon de penser. Mais l’imitation n’est pas la seule adaptation possible. Jouer (physiquement) à des jeux violents peut permettre au contraire de libérez l’agressivité, peut-être est-ce le cas également pour au moins certains enfants avec les jeux vidéo. Surtout, la violence est partout dans notre société. Je ne suis pas sûr que la littérature, par exemple, soit moins efficace que les jeux vidéo pour modeler l’inconscient et les comportements.
Je pense qu’il y a déjà deux niveaux à distinguer : le niveau de violence et les formes qu’elle prend. Je ne suis pas sûr que les études sur les jeux vidéo distinguent forcément les deux. Quoiqu’il en soit, les neurosciences et les sciences cognitives ne sont certainement pas les plus qualifiées pour répondre à cette question. La sociologie possède des outils conceptuels et méthodologiques plus adaptés il me semble.
J’avais trouvé également passionnante l’approche ethnopsychiatrique de Georges Devereux, et notamment sa notion de « psychose ethnique ». L’idée est que la société propose non seulement des rôles, des modèles de comportement, mais aussi des contre-modèles, ou des modèles de déviance. Quand on n’arrive pas à s’adapter à la société (quand on est « fou »), la société indique de quelle façon se comporter, et cela de façon encore plus stricte que pour les modèles d’intégration. L’exemple paradigmatique est l’amok indonésien, qui consiste en un rituel extrêmement précis de folie meurtrière. Dans notre société, l’hystérie était au XIXème siècle la façon d’exprimer sa névrose ; le modèle du serial killer ou psychopathe est très à la mode dans nos sociétés depuis quelques dizaines d’années. Devereux insiste sur l’absence d’originalité du « fou » - dans la « maladie » mentale (j’insiste sur les guillemets, bien évidemment), dans la souffrance morale et psychique, il y a peu de place pour l’intelligence et la créativité.
Le fait que la littérature et la filmographie magnifient ce rôle (le psychopathe supérieurement intelligent) et que les séries noires soient autant valorisées sont des signes évidents de la construction sociale de ces rôles alternatifs. Le contenu des jeux vidéos doit participer à la construction de rôles sociaux possibles (« normaux » ou « pathologiques »), je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

En ce qui concerne spécifiquement la levée des inhibitions patiemment construites par l’éducation, malheureusement, l’histoire nous enseigne qu’elles sont extrêmement fragiles. C’est pour cela qu’il est tellement important d’étudier ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale, le Rwanda et la plupart des conflits. La facilité qu’a l’humain éduqué à basculer dans la cruauté la plus abjecte est sidérante. Et pour cela, pas besoin de jeux vidéo.
Verrouillé

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