Bonjour,
Vos remarques et questions montrent à quel point le lien est étroit (lorsque l'on veut parler de la production alimentaire) entre les aspects agronomiques, économiques, politiques et géopolitiques. Je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions. Certaines, pour éviter toute caricature, nécessiteraient de longs développements et dépasseraient de loin mes compétences.
Je vais donner quelques éléments de réponse qui ne concernent pas seulement la filière avicole (volailles). Ce qui me permettra d'élargir à quelques questions agricoles plus larges.
Comme votre question, ma réponse dépassera le cadre des SVT, néanmoins en classe, les points que j’évoque ici peuvent être utilisées par les enseignants de SVT en lien avec les cours de géographie ou d'économie et permettent de travailler sur des notions du programme de SVT de 1re concernant les liens entre "pratiques individuelles et pratiques collectives".
À propos de ce lien, il me semble qu'un point d'éducation fondamental est de faire percevoir la responsabilité du consommateur (éducation à la consommation : pratique individuelle) dans les choix politiques plus larges (conséquences collectives).
Voici quelques questions à se poser :
- quelle part de mon budget suis-je prêt à consacrer à mon alimentation ?
- Suis-je capable d'exercer un choix sur les produits alimentaires que je consomme ? (origine géographique, modalités production, qualité certifiée…) (Est-ce que je sais lire une étiquette ? Est-ce que je comprends les différents labels et signes de qualité ? Est-ce que je sais ce qu'implique de choisir telle ou telle origine géographique d'un un produit alimentaire ?)
Aujourd'hui, un foyer français consacre environ 15 % de son budget total à son alimentation. Cette part était de 30 % au début des années 50 (chiffres Insee). Les transports et les loisirs (y compris l'équipement informatique et de communication) occupent l'essentiel des 15 % économisés. Autrement dit la réduction du coût de l'alimentation est en bonne partie responsable de notre confort moderne.
Beaucoup de consommateurs font le choix de manger pour le prix le plus bas possible, ce qui crée bien sûr un marché pour des conditions de production à bas coût que les mêmes (ou d'autres ?) consommateurs jugent contestables. Le développement des systèmes de label et certification (AOC, AOP, IGP, agriculture biologique, commerce équitable, label rouge, viande française, 100% muscle ...) permet justement de comprendre et d'accepter un surcoût (plus ou moins important) de l'alimentation.
Il existe deux domaines où le choix du consommateur a plus de mal à s'exprimer : la restauration hors foyer (cantines, restaurants d'entreprise, brasseries…) et la fabrication industrielle de plats cuisinés (l'étiquetage des origines et des modes de production des ingrédients n'étant pas toujours obligatoire). Dans ces domaines, il n'est pas forcément rentable de miser sur la qualité. On pourrait ici évoquer l'affaire de la viande de cheval, qui en l'occurrence était due à une fraude.
Mais l'exemple de la volaille est assez remarquable sur ce point : depuis quelques années des volailles d'importation (origine européenne) font leur apparition sur le marché français (pourtant le premier producteur européen). Ces volailles d'importation trouvent jusque là assez peu leur place dans la grande distribution et les boucheries artisanales (qui à 87 % vendent du poulet de chair industriel français). On peut imaginer (espérer ?) ici que le consommateur exerce son choix à la lecture des étiquettes. Mais du fait de leur bas coût, ces importations contribuent à près de 90 % des poulets consommés dans la restauration hors foyer et 68% du poulet utilisé dans les plats cuisinés des industriels français (chiffres avril 2013, institut technique de l'aviculture, Itavi). Notons au passage que cela ne signifie pas a priori que la qualité de ces poulets d'importation est moins bonne que celle des poulets français mais elle pose la question économique du maintien de la filière française.
Comme vous le soulignez, le consommateur français en tant que contribuable finance également son agriculture par le biais des subventions européennes. Il se trouve qu'aujourd'hui la contribution de la France à la politique agricole commune correspond à peu près à ce que l'agriculture française reçoit au titre de cette même politique agricole commune (PAC), soit 8,7 milliards d'euros (2011), ou 130 € par français et par an (source site internet touteleurope.eu).
Pour répondre à votre question sur le poids des subventions dans le revenu des agriculteurs, il est en moyenne d'environ 30 %. Cela signifie bien sûr que la plupart des exploitations agricoles ne serait pas rentable sans subventions. Le revenu agricole lui-même varie énormément en fonction des domaines d'activité : en moyenne de 38 300 euros par exploitant et par an (avant impôts), il varie de 72 800 € pour les céréaliers à 16 500 € pour les éleveurs de moutons. Pour les producteurs de volailles, il est dans la moyenne à 37 400 € par an (chiffres Agreste juillet 2013).
Pendant longtemps, 80 % des subventions européennes bénéficiaient à environ 20 % des exploitants. Ce qui était bien sûr de nature à créer des tensions entre exploitants agricoles, la réforme de la PAC de 2013 a comme ambition de réduire progressivement cette distorsion.
Je ne détaillerai pas l'histoire de la politique agricole commune, je vous indique à la fin de ce message des références qui vous permettront d'en savoir plus. Le mécanisme des subventions agricoles, au-delà d'un rôle de soutien de l'agriculture, a également depuis toujours servi à la mise en œuvre des politiques agricoles. Aujourd'hui elle permet notamment d'orienter davantage notre agriculture vers une prise en considération par les agriculteurs des problèmes agro environnementaux.
Pour comprendre les effets des subventions que vous mentionnez, il est essentiel de faire la différence entre les différents types de subventions agricoles versées au titre de la PAC. Il existe notamment :
- des subventions à l'exportation (appelées restitutions) : le produit agricole exporté est ainsi moins cher (car subventionné) sur le marché mondial;
- des aides couplées à la production : plus vous produisez en quantité, plus vous touchez de subventions;
- des aides découplées : les subventions à la production ne sont pas proportionnelles aux quantités produites, mais aux surfaces exploitées (quel que soit le rendement);
- aides au développement rural dont des versements au titre de mesures agro-environnementales (MAE) : les agriculteurs perçoivent des aides en contrepartie d'actions de préservation de l'environnement
- aides aux investissements ...
Vous évoquez principalement les deux premiers types de subventions (exportations et aides couplées).
Or depuis la création de la PAC en 1962, la répartition de ces subventions a beaucoup évolué. Les subventions à l'exportation représentaient 40 % du total environ en 1971. La France a encore touché en 2012, 90 % des subventions à l'exportation de toute l'Europe (Source Les Echos, 21 janvier 2013). Les aides à la production ont été à l'origine des excédents des années 1980 et ont été par la suite très allégées. En 2011, les aides découplées et les aides au développement rural représentent environ 85% du total des subventions. Les subventions à l'exportation que vous évoquez ont été réduites en 15 ans de 10 milliards d'euros par an à 350 millions (divisées par 30!). Il est question de supprimer totalement ces subventions à l'exportation à l'avenir.
Ces subventions à l’exportation sont aujourd’hui au cœur de l’actualité que vous rappelez et du lien entre certains groupes agro-alimentaires et les éleveurs. Regardons rapidement l’origine de ce lien. Les difficultés rencontrées par les exploitants agricoles sont multiples. Il existe tout d'abord des difficultés d'installation importante des jeunes agriculteurs qui est à l'origine d'un vieillissement de la population agricole. Ensuite comme toute entreprise, une exploitation agricole a besoin d'un minimum de stabilité de son environnement économique pour pouvoir faire des choix stratégiques de développement, envisager des investissements à long terme… Or la volatilité des prix agricoles, la modification du contexte réglementaire et fiscal, la dynamique des marchés mondiaux sont autant de facteurs d'instabilité qui rendent l'exercice du métier difficile. Dans ce contexte, la signature de contrats avec des groupes alimentaires (par exemple pour le poulet, les légumes…), permet à l'exploitant agricole de ne plus assumer seul les instabilités de l'environnement économique.
Certains de ces groupes alimentaires, pour les volailles le groupe Doux et le groupe Tilly Sabco en particulier, ont fondé leur activité économique sur l'exportation de poulet (l'Arabie Saoudite et la Russie sont la destination de 50 % des exportations françaises de volaille), se rendant ainsi dépendants des subventions à l'exportation. La forte diminution de ces subventions annoncées depuis plusieurs mois les place aujourd'hui dans des difficultés économiques importantes, entraînant avec eux leurs salariés et les exploitants agricoles sous contrat.
Pourquoi est-il nécessaire de baisser les subventions à l'exportation ?
L'organisation du commerce mondial est basée sur une théorie économique appelée "théorie de l'avantage comparatif". Vous trouverez facilement des sites Internet expliquant cette théorie. En résumé, dans un contexte de libre-échange, un pays a intérêt à favoriser les productions pour lesquelles il a un avantage (il peut produire de la qualité à bas coût) par rapport aux autres pays et à acheter le reste à l'extérieur (d'où la nécessité d'ouvrir ses frontières commerciales). Elle induit une certaine spécialisation des pays par type de production (et beaucoup de transports !).
Cette théorie nécessite qu'il n'y ait pas de frein au libre-échange, les subventions (qui permettent de vendre moins cher que le marché) et les droits de douane (qui augmentent le prix des produits importés) sont des biais au libre-échange. En conséquence, l'organisation mondiale du commerce (OMC) recommande la suppression des subventions (notamment agricoles) et des droits de douane.
Les mouvements alter-mondialistes demandent également la suppression de ces subventions pour les raisons que vous évoquez. En effet, elles sont de nature à empêcher des producteurs de pays en développement de pouvoir vendre leur production dans leur pays car les productions agricoles importées sont souvent moins chères.
Le Sénégal a ainsi rétabli des droits de douane sur les oignons à certaines périodes de l'année (durant la période de production des oignons locaux) pour limiter les importations et permettre avec succès à la production locale de se développer.
Finalement, vous constaterez donc que la filière de production de volailles françaises est soumise simultanément à deux contraintes : la concurrence des importations venant d'autres pays d'Europe et la baisse des subventions à l'exportation. Ces deux contraintes réduisent bien évidemment le marché de la volaille française.
Enfin, autre point que vous évoquez qui nous ramène dans le champ de SVT, celle de la pollution par les élevages. On considère que 60 à 70 % de l'azote et du phosphore ingérés par les volailles sont retrouvés dans les déjections (source Itavi). Néanmoins les déjections de volaille ne représentent que 3 % de la totalité des déjections produites par les élevages (source MEDD), les déjections de volailles ne sont donc pas responsables de l’essentiel de ces pollutions.
En élargissant aux autres activités d’élevage, on peut se poser la question de l’origine de l’importance actuelle de ces pollutions.
En plus de l'augmentation de la consommation de viande (nécessitant plus d'élevage), l'augmentation de ces pollutions vient également de la disparition des exploitations agricoles polyvalentes au cours du XXe siècle qui permettaient une réutilisation plus aisée des déjections comme engrais organiques pour les cultures. La spécialisation régionale de l'agriculture française qui s'est opérée après la seconde guerre mondiale est à l'origine de la concentration des pollutions à l'azote dans certaines régions de France (les régions d'élevage). Parallèlement les régions de grandes cultures ne disposant pas d'élevages locaux utilisent massivement des engrais chimiques pour leurs cultures ne disposant pas de source importante d'engrais organique local. Il y a là une contradiction qui n'est pas facile à résoudre.
Enfin sur ce point de l'azote dans les nappes phréatiques et les rivières, les médias se concentrent majoritairement sur les marées vertes, certes spectaculaires, certes ayant des impacts touristiques importants mais il me semble essentiel de rappeler que les nitrates et nitrites dans l'eau sont toxiques au-delà d'une certaine dose. Ils sont responsables de la méthémoglobinémie (cyanose du nourrisson ou syndrome du bébé bleu) et de cancers du tube digestif. La dose maximale autorisée pour les nitrates est de 50mg/L (25mg/L pour les femmes enceintes et nourrissons). Seuils qui sont dépassés dans certaines communes de France. Pour une fois, étrangement, la préoccupation médiatique est davantage écologique (touristique ?) que sanitaire.
Quelques sources documentaires pour aller plus loin (consultées du 7 au 9 novembre 2013) :
Je me suis limité à des documents officiels, mais il est également très intéressant de voir aussi les nombreux débats et positions politiques sur la réforme de la pac 2013 reflétant la diversité des enjeux et des préoccupations.
Il existe de nombreux articles d'actualité, Ouest France ou le Monde traitent fréquemment de ces questions.
Sur l'élevage avicole français, les importations, exportations et l'avenir de la filière:
http://www.franceagrimer.fr/content/dow ... _20103.pdf" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
http://www.itavi.asso.fr/economie/etude ... ective.pdf" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
Sur les déjections des élevages avicoles :
http://www.itavi.asso.fr/elevage/enviro ... icoles.pdf" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
http://www.developpement-durable.gouv.f ... vicole.pdf" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
Sur le revenu agricole :
http://agreste.agriculture.gouv.fr/enqu ... re-revenu/" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
Sur l'histoire et le fonctionnement de la PAC
http://ec.europa.eu/agriculture/50-year ... dex_fr.htm" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
Sur le développement rural et les mesures agroenvironnementales de la PAC
http://ec.europa.eu/agriculture/envir/report/fr/" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;
http://ec.europa.eu/agriculture/envir/m ... dex_fr.htm" onclick="window.open(this.href);return false;" onclick="window.open(this.href);return false;