Histoire du comptage des chromosomes humains

Histoire des sciences
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Daniel Nardin
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Histoire du comptage des chromosomes humains

Message par Daniel Nardin »

Bonjour,
Excusez ma question qui est un peu anecdotique. Elle résulte d'un échange récent à propos d'un point d'histoire des sciences qui m'a intrigué. Cela pose surtout le problème de la rapidité de transmission des découvertes scientifiques par l'éducation.
Un correspondant amateur de microscopie s'est plaint "d'avoir eu une bulle en 1966 en écrivant que la cellule comptait 46 chromosomes" car son professeur tenait le nombre de 48 pour exact.
Je ne connaissais pas l'histoire de cette découverte et le Web m'a permis de la trouver:
- Les premières observations de chromosomes humains datent de 1880.
- En 1910, Branca définit le nombre somatique normal humain à 48 chromosomes en travaillant sur des prélévements post-mortem de testicule humain.
- En 1912, Winiwarter améliore cette technique en prenant des biopsies de testicules prélévées chirurgicalement, immédiatement fixées. A la suite de ces améliorations techniques, Winiwarter conclut à la présence de 47 chromosomes dans les spermatogonies (46A+X) et de 48 (46A+X+X) dans les ovogonies .
- Le chromosome Y est décrit plus tard par Painter (1921,1922) comme un élément petit et non apparié et il conclut en 1923 à l'existence de 46A+X+Y pour l'homme et à 46A+X+X pour la femme et à un mécanisme du déterminisme du sexe liée à la formule XX ou XY (Painter, 1923).
- ce n'est qu'en 1956 que le nombre de chromosomes de l'espèce humaine a été correctement établi à 46 par Tjio et Levan, à partir de cultures de tissus, et en ayant eu l'idée d'introduire le choc hypotonique pour améliorer l'étalement des chromosomes. (1)

Pour l'histoire des sciences, cet exemple montre bien sur l'importance des techniques et des supports expérimentaux pour l'avancement des découvertes.
Effectivement, pendant 46 années le décompte des scientifiques a été erroné!

L'erreur se retrouve bien évidément au niveau du grand public: on peut lire par exemple ce nombre de 48 chromosomes dans une vulgarisation de l'Unesco cautionnée par des scientifiques en 1952. (2)

Par contre, le décalage entre la découvertes et sa diffusion est très court: l'ancètre de la revue de vulgarisation "la recherche" a publié en janvier 1957 un article intitulé: "Le nombre des chromosomes humains serait de 46" (3)

J'aimerais pouvoir affirmer à mon correspondant que la réécriture des manuels a été rapide! Pouvez vous m'aider svp?
Je n'ai pas accès à des manuels scolaires de cette époque; Existe t il des bibliothèques conservant des manuels comme traces de l'évolution des enseignements?
Peut être que des collègues pourraient retrouver des manuels de biologie entre 1956 et 1966 pour préciser quand la valeur du nombre de chromosomes humains y a basculé de 48 à 46 chromosomes?
Est ce qu'un historien de la didactique s'est intéressé à ce point?
Dans la mesure ou tout ce qui touche à l'humain et à l'évolution entraine des débats, il y a certainement eu des échos dans la société à l'époque...
Cela a t il donné lieu à des publications ensuite?

Pensez vous que cet exemple de "fragilité" de découverte scientifique peut être utilisé dans l'enseignement?

1 http://lhec.teso.net/enseignements/p1/p ... togen.html

2 http://unesdoc.unesco.org/images/0013/0 ... suivantes.

3 http://www.gloubik.info/sciences/spip.php?article510

Pensez aux balises URL. Merci! MCS ;)
Laurent LOISON
Messages : 13
Enregistré le : 30 août 2011, 16:32

Re: Histoire du comptage des chromosomes humains

Message par Laurent LOISON »

Bonjour,

Effectivement, à l'exception du cas particulier de la drosophile, le comptage précis de la garniture chromosomique a longtemps achoppé du fait de problèmes techniques. De mémoire, il doit y avoir un article sur les travaux conduisant à l'identification de la trisomie 21 chez l'homme dans un numéro de La Recherche pas trop ancien (deux ans au plus). Je sais qu'une étudiante est en train de faire sa thèse sur ce sujet, mais je n'ai pas réussi à retrouver son nom pour le moment.
Pour ce qui est des ouvrages d'enseignement, il faudrait voir avec des gens de l'INRP. Il est possible qu'ils possèdent une collection historique des manuels de SVT.
Pour ce qui est du transfert rapide dans le sciences du vivant entre la recherche et l'enseignement, c'est effectivement un cas particulier des SVT. Les mathématiques du lycée, pour l'essentiel, ne vont pas au-delà du XVIIIe siècle, la physique et la chimie, guère plus que le XIXe. Alors qu'en SVT, on retrouve parfois des connaissances très récentes dans le programme de certaines classes, pas forcément au niveau de la Terminale d'ailleurs. Par exemple, les gènes du développement n'ont été isolés qu'au cours des années 1980, et on retrouvait déjà cette notion en 2001 dans les anciens programmes de seconde. Cela soulève des questions, car il est évident que le sens et l'importance d'une découverte ne s'apprécient qu'avec un minimum de recul. Par ailleurs, cela conduit les enseignants à transmettre des connaissances pour lesquelles eux-mêmes n'ont pas été formés (comme ce fut souvent le cas après l'introduction de la cladistique, et maintenant avec les "gender studies").
Enfin, pour ce qui est de la "fragilité" de la découverte, il s'agit de bien distinguer les découvertes factuelles - comme c'est le cas ici - et les avancées conceptuelles (plus fondamentales), même si bien sûr les deux sont souvent liées. Dans le premier cas, les techniques disponibles ont évidemment un rôle décisif, et le savoir progresse alors en proportion de celles-ci. Dans le second, il y a également fragilité, mais celle-ci est beaucoup plus complexe, car elle entre en résonance avec l'idéologie d'une époque historique donnée. Ce qu'un savant est capable d'imaginer est limité par l'espace intellectuel dans lequel il évolue, et qui définit le champ des possibles, pour reprendre une expression chère à François Jacob. Si cette question vous intéresse, vous pouvez consulter deux de ses ouvrages :
- La logique du vivant (1970)
- Le jeu des possibles (1981)

C'est également la thèse principale défendue par Michel Foucault dans son ouvrage célèbre Les mots et les choses.

Très bon week-end,
Laurent Loison.
Verrouillé

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