Les contradicteurs de Lamarck

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cooluber-TGarrigues
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Les contradicteurs de Lamarck

Message par cooluber-TGarrigues »

Bonjour,

C'est une question qui n'a pas véritablement de lien avec le programme, sauf peut être avec l'évolution en 3ième.

Je me demandais comment la théorie des caractères acquis avaient été accueillie puisqu'elle révolutionne également les idées de l'époque, au XVIIIe (comme Wegener au XXe). D'ailleurs plus que Darwin!
Pourtant, les arguments contradictoires concernant l'héritage par la descendance des phénotypes acquis au cours de la vie sont faciles à formuler!?

Pouvez vous donc développer sur l'ambiance scientifique qui régnait suit à la formulation de la théorie de Lamarck?

Merci.

TG
Schooltoujours!
Laurent LOISON
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Re: Les contradicteurs de Lamarck

Message par Laurent LOISON »

Bonjour,

Votre question amène plusieurs éléments de réponse :

1. Contrairement à ce que l'on pense - et à ce qui est écrit dans bon nombre de livres - la théorie de l'évolution de Lamarck n'est pas prioritairement fondée sur le concept d'hérédité des caractères acquis. La force évolutive première, pour Lamarck, est une capacité propre aux corps vivants de complexifier leur organisation au fur et à mesure du temps. Son intérêt principal va à l'évolution complexifiante. Néanmoins, Lamarck était bien conscient qu'il était difficile de classer la totalité des espèces selon une échelle de complexité croissante. C'est pourquoi il postula l'existence d'une seconde force évolutive, expliquant les transformations adaptatives, et venant perturber la linéarité de l'échelle des êtres. Pour Lamarck, au moins dans le cas des animaux, l'usage ou le défaut d'usage d'un organe sont capables d'en altérer la forme, changement qui peut être transmis à la descendance. C'est rétrospectivement que nous désignons cette idée lamarckienne par l'expression "hérédité des caractères acquis". Cette expression n'existe pas sous la plume de Lamarck (voir le site http://www.lamarck.net, qui propose un moteur de recherche explorant les écrits lamarckiens). Pour plus de détails concernant l'histoire de cette formulation au cours du XIXe siècle, on peut consulter : J. Gayon "Hérédité des caractères acquis", in J. Gayon, G. Gohau, P. Corsi, S. Tirard, Lamarck, Philosophe de la Nature, PUF, 2006. Pour plus de détails sur la théorie de Lamarck, vous pouvez consulter en ligne : http://acces.inrp.fr/acces/societe/prob ... loison.pdf.

2. L'idée d'hérédité des caractères acquis, au moment où Lamarck propose sa théorie de l'évolution (dès 1802), n'est pas une nouveauté - comme votre question semble l'indiquer. Depuis l'Antiquité, beaucoup de penseurs et de savants l'acceptent plus ou moins, comme par exemple Aristote. Cela n'implique pas pour autant une adhésion à la transformation des espèces, car on pensait souvent que l'hérédité de l'acquis était possible seulement à l'intérieur de certaines limites. L'idée est tellement évidente au moment où Lamarck développe ses conceptions que celui-ci n'y revient pas dans le détail, et il n'en formule aucune théorie. Beaucoup d'"arguments" évidents semblent l'attester, comme par exemple la transmission héréditaire de l'acoolisme au sein de certaines familles. Contrairement à ce que l'on admet souvent, Darwin ne s'opposait pas du tout à cette idée, bien au contraire. Il ira d'une certaine façon plus loin que Lamarck, puisqu'il en donnera une théorie détaillée (la pangenèse intracellulaire). L'opposition lamarckisme/darwinisme, dans son sens moderne, est donc une construction postérieure à Darwin, et date en fait de la toute fin du XIXe siècle.

3. C'est le zoologiste et cytologiste allemand August Weismann qui va s'opposer radicalement à l'idée d'hérédité des caractères acquis, dès le début des années 1880. Mais là encore, attention, il ne le fait pas sur la base d'arguments expérimentaux, mais pour des raisons théoriques : il lui semble impossible d'imaginer un système héréditaire capable d'emmagasiner puis de transmettre l'expérience acquise par les corps. Weismann va proposer une dichotomie importante entre le soma (le corps) et le germen, potentiellement immortel, et qui engendre des corps à chaque génération. La séparation entre ces deux entités ne permet pas au soma d'agir en retour sur le germen, si bien que l'hérédité des caractères acquis est impossible. Pour Weismann, le principe de sélection naturelle est suffisant à l'explication de l'évolution des espèces : il radicalise les thèses de Darwin et fonde ainsi ce que l'on appelle le néodarwinisme. Position extrême, et qui sera largement contestée aux alentours de 1900, notamment en France (néolamarckisme). Pour plus de détails, voir : L. Loison, Qu'est-ce que le néolamarckisme? Les biologistes français et la question de l'évolution des espèces, 1870-1940, Vuibert, 2010.

4. Contrairement à ce que vous indiquez, les "arguments contradictoires" sont difficiles à formuler. En sciences, il est problématique de prouver une non-existence sur une base empirique. Montrer expérimentalement la non-existence de l'hérédité des caractères acquis nécessiterait que l'on puisse faire l'inventaire de tous les cas possibles puis que l'on teste l'intégralité de ces cas. Pratiquement, c'est inenvisageable. L'hérédité des caractères acquis n'a pas été réfutée par l'expérience, mais :
- elle est devenue une explication inutile au fur et à mesure de l'élaboration de la théorie synthétique de l'évolution
- à la suite des critiques de Weismann, elle n'a jamais trouvé de faits expérimentaux solides attestant sa réalité
- elle n'a trouvé (au moins dans un premier temps) aucune place au sein de la génétique moléculaire élaborée durant les années 1950-1960

En espérant avoir répondu à vos questions.

Bonne fin de week-end.
Verrouillé

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