Darwin et le vieillissement

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mroffi
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Darwin et le vieillissement

Message par mroffi »

Bonjour Corinne,
Le sujet de TPE proposé par des élèves : "dans quelle mesure le vieillissement est il compatible avec la théorie de Darwin" peut-il être un sujet porteur et accessible à des élèves de première S ? Est-ce que Darwin a abordé lui même ce phénomène biologique dans ses travaux ?
merci
Martine
Corinne FORTIN
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Re: Darwin et le vieillissement

Message par Corinne FORTIN »

Bonjour Martine et bonjour à tous

A ma connaissance, mais je ne suis pas spécialiste des écrits de Darwin, il n'aborde pas vieillissement dans le cadre de sa théorie de la sélection naturelle.
Au-delà de Darwin, à partir des années 1990, des expériences de modification génétiques ont montré une augmentation de longévité des organismes chez le ver C. elegans, la drosophile ou la souris avec un retard du vieillissement. A ce sujet, je vous conseille vivement le livre J.C Ameisen : La structure du vivant. Il y évoque l'existence de gènes et de mécanismes qui participent à la construction de l'embryon, mais qui, par ailleurs, interviennent aussi dans le vieillissement. En agissant sur ces gènes, on peut ainsi accélérer ou retarder le vieillissement. Au regard de ces travaux expérimentaux, la sélection des gènes de construction conduit, de facto, sélectionner des mécanismes du vieillissement. D'où, l'idée que le vieillissement n'est pas sélectionné, en soi, mais consécutivement à la sélection des gènes de construction.
Autrement dit, le vieillissement serait un effet secondaire de la sélection des gènes de construction.
Autre cas intéressant, aussi évoqué dans l'ouvrage, celui de l'action environnement sur les gènes comme le montre les études épigénétiques. Le vieillissement est donc un phénomène complexe avec sa dimension génétique, physiologique, environnementale, voire sociale.

Pour un TPE, en 1èreS, l'absence de connaissances en biologie de l’évolution et de maîtrise du concept de sélection naturelle font qu'il est sans doute difficile d'aborder frontalement la relation vieillissement et évolution.

Mais du point de vue de la didactique, il y a peut-être une autre piste à exploiter : celle du temps en biologie
Le temps est communément perçu comme linéaire et chronologique. Pour la majorité des élèves, le vieillissement est superposé à la longévité.
Autrement dit, le facteur temps est directement cause du vieillissement. Chacun d'entre nous, d'ailleurs, tombe dans le piège de l'empirisme du quotidien : un vieillard est un individu qui a atteint un certain âge (pour ne pas dire un âge certain) et présente les signes visibles de la sénescence.
A partir de la durée de vie de l'individu et par extension celle de l'espèce , on découpe le temps en une succession d'étapes : croissance, arrêt de la croissance, puis début du vieillissement. Remarquons que, pour les élèves, généralement, le temps écoulé n'est réellement pris en compte, et donc décompté, uniquement à partir de la naissance et non avant.

Il est des contre-exemples où le "temps" connaît des soubresauts comme la progéria où de jeunes enfants vieillissent précocement et meurent. Le décalage entre leur âge donné par l'état civil et leur état physiologique dissocie brutalement le vieillissement de la longévité, et montre la possibilité de vieillir et de mourir jeune.
Du point de vue évolutif, on peut noter avec les élèves qu'un vieillissement prématuré empêche une reproduction des individus et la naissance d'une population » progérienne ».
Dans cet exemple, la chronologie traditionnelle - croissance, arrêt de la croissance et vieillissement - semble être bouleversée ou tout moins contractée en un "temps record"

A l'inverse, il existe un « étirement du temps" qui repousse la phase de vieillissement, c’est le cas de néoténie chez l'Axolotl ou l'hétérochronie chez l’humain
Le cas de l'Axolotl est doublement intéressant
- d'une part, parce qu'il montre que l'absence de métamorphose n'empêche pas la reproduction
- d'autre part, parce qu'il montre aussi l'importance des hormones dans le maintien d'un état juvénile ou dans le déclenchement de la métamorphose.
Bien qu'éloigné du cas de l'Axolotl, le rôle des hormones dans la place du vieillissement (ménopause, andropause) ou celui la DHEA pour ralentir le vieillissement peut aussi être évoqué avec les élèves

Chez l'humain, la morphologie du crâne et de la mâchoire comparées à celles des autres primates permet de "suivre" le déplacement du trou occipital et l'avancée du prognathisme. Chez l'humain, on observe une prolongation de la phase embryonnaire et fœtale ainsi que d'un allongement la phase de croissance avec une maturité sexuelle plus tardive. On observe aussi une morphologie radicalement transformée (position centrale du trou occipital et absence de prognathisme)

Pourquoi évoquer ces cas "d'étirement" ou de "contraction" d'étapes temporelles
- d'abord, pour rompre avec l'idée que le temps en biologie est semblable à un sablier.
- ensuite, pour sensibiliser les élèves au fait que la construction spatiale et fonctionnelle de l'organisme n'est pas simple développement par déroulement (comme le pensaient les préformationnistes), mais qu'elle répond à des activations temporelles et spatiales de gènes
- enfin, parce que cette première approche du temps peut aider les élèves à comprendre que l'évolution est un phénomène historique soumis à la contingence et qu'il n'y a donc pas de prédiction possibles sur l’évolution future. En revanche, selon le mot de J. Gayon, il y a une rétrodiction, c'est-à-dire la possibilité d'expliquer rétroactivement l'évolution passée comme le font les sciences historiques. De ce point de vue, l'évolution est une science historique. Et l'on peut, rétroactivement, expliquer que le vieillissement, qui ne présente pas un avantage adaptatif, se maintient car il est lié à la sélection des gènes de construction de l'organisme.

Cordialement
Corinne fortin
Verrouillé

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