knuckle walking

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Erika Follien
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knuckle walking

Message par Erika Follien »

Bonjour,
je n'avais pas eu l'idée de poser la question à G Lecointre... je le fait aujourd'hui : dans le logiciel Phylogène (version 2009, collection archonte), il y a un caractère nommé "knuckle walking". Il permet de faire un arbre pour lequel Chimpanzé, Bonobo et Gorille sont regroupés au sein des Hominoïdes. Or il semblerait que le knuckle walking soit apparu 2 fois dans l'évolution, le Gorille n'ayant pas la même structure du poignet que les Chimpanzés. Comment traiter cela avec les lycéens ? (à vrai dire, je choisis d"évacuer" le problème en leur demandant de ne pas prendre ce caratère en compte dans notre TP)

Merci pour votre réponse.
jjanin
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Re: knuckle walking

Message par jjanin »

Bonjour
Corinne Fortin se renseigne mieux pour apporter une réponse à cette question.
Il faudra patienter un peu.
Merci de votre compréhension.
JJ
jjanin
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Re: knuckle walking

Message par jjanin »

Corinne Fortin a contacté Guillaume Lecointre et nous devrions avoir une réponse prochainement.
Dans l'attente, Gilles Escarguel nous propose des éléments de réponse et des pistes de réflexion.
Merci Gilles
Gilles Escarguel a écrit :Toutes les données moléculaires accumulées ces 15-20 dernières années indiquent sans ambiguïté la phylogénie [Gorilla, [Pan, Homo]] et rejètent donc l'existence d'un clade Pan-Gorilla. C'est le cas, par exemple et entre autre, des éléments ALU de la lignée "Ye5" (les ALU sont les éléments mobiles courts [= transposons de type SINE] les plus abondants du génome humain ; c'est une séquence d'ADN de ~300 p.b. présente entre ~300.000 et >1.000.000 d'exemplaires dans le génome humain, soit ~10% du génome humain total ; voir http://en.wikipedia.org/wiki/Alu_sequence). Voir notamment cet article de 2003, normalement disponible en libre accès : http://www.pnas.org/content/100/22/12787.long .

Pour ce qui est de la morphologie, là aussi un consensus s'est dégagé ces ~10 dernières années autour du scénario [Gorilla, [Pan, Homo]]. Voir par exemple les Figs. 2 et 3 de l'article joint*, construites à partir de l'analyse de données morphologiques, où les auteurs vont même jusqu'à proposer que Pan ne devrait pas être considéré comme un genre distinct d'Homo, mais comme un sous-genre d'Homo !

Au total, la classification actuelle des hominoïdes reflète bien ce scénario consensuel [Homo, [Gorilla, Pan]]. Voir par exemple : http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/ ... e/homo.htm
et
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hominidae

Partant de là, une collection aboutissant à la reconstruction du scénario [Homo, [Gorilla, Pan]] comme celle évoquée dans la question postée sur le forum est a priori extrêmement suspecte !...

En fait, il y a 2 questions en une ici : (1) Pan et Gorilla pratiquent-ils le même type de knuckle-walking ? et (2) Homo a-t'il évolué à partir d'un ancêtre knuckle-walker ? Classiquement, on a répondu "oui" à ces deux questions. De plus en plus aujourd'hui, on répond "non" à la première, ce qui rend la réponse à la seconde plus complexe (tout dépend de quel type de KW on parle...)

En résumé, les biomécaniques du knuckle-walking de Pan et de Gorilla sont très différentes. Le knuckle-walking de Pan est fondamentalement arboricole ; celui de Gorilla est terrestre. Incidemment, les caractéristiques morphologiques des os du poignet de Pan et de Gorilla liées au knuckle-walking se mettent en place de façon très différentes lors du développement embryonnaire de ces deux genres. Enfin, certaines caractéristiques morphologique du poignet d'Homo évoquent le knuckle-walking arboricole de Pan, ce qui suggère fortement que l'ancêtre commun à Pan et Homo était arboricole. En résumé, en l'état actuel des connaissances, tout indique donc qu'il ne faut pas mettre Pan et Gorilla ensemble pour le caractère "knuckle-walking"... Voir par exemple l'article récent à ce sujet : http://www.pnas.org/content/106/34/14241.full
*article joint
JJ
Corinne FORTIN
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Re: knuckle walking

Message par Corinne FORTIN »

Bonjour,
Guillaume Lecointre vient de me communiquer un texte de P. Picq
Bipédies et marché sur les phalanges

Pascal PICQ
Collège de France
________

Le bal des bipédies et des hypothèses

Première remarque : il serait temps que celles et ceux qui font de la phylogénie chez les hominidés demandent aux paléoanthropologues ; déjà que Toumaï a perdu sa base du crâne. Il suffit de lire Au commencement était l’Homme de Pascal PICQ 2003 et les articles publiés dans Pour la Science. Un peu de bipédie pour attraper le livre et un peu de knuckle paging !

Deuxième remarque : on ne fait pas de systématique avec des fonctions ; sinon, les pingouins sont des hominidés et les chauves souris sont avec les oiseaux. (Pas plus d’ailleurs qu’avec les comportements, comme la copulation face à face ; là, on s’est bien fait b….. par les chimpanzés robustes, les orangs-outangs et même les gorilles.)

Répertoires locomoteurs : Sans que l’on dispose d’études assez exhaustives pour donner des pourcentages, tous les hominoïdes présentent des aptitudes aux bipédies (et non pas à la bipédie), à la fois dans les arbres et au sol. A part les travaux de D. Hunt sur les chimpanzés, je ne connais pas d’étude comparative sur les fréquences relatives d’usages des bipédies dans diverses circonstances. De toutes les façons, il s’agit d’une aptitude utilisée de façon le plus souvent opportuniste.

Ceci étant précisé, les gibbons comme les orangs-outangs pratiquent des bipédies très différentes et somme toute assez rarement ; ils sont très arboricoles. Si on s’intéresse aux fossiles d’hylobatidés et de pongidés, on a trop peu de vestiges pour décrire leurs répertoires locomoteurs et, pour ce qui est connu, pas d’aptitudes évidentes pour les bipédies. (Ceci dit, qui aurait déduit que les bonobos marchent autant debout sur la seule étude de leur squelette locomoteur ? Anatomie, morphologie et fonctions ne marchent pas toujours du même pas.)

L’affaire se complique avec les hominoïdes africains actuels et fossiles, sans oublier les formes européennes disparues.

Ceux qui pratiquent le plus la bipédie occasionnelle au sol, et par ordre décroissant, sont les chimpanzés graciles (Pan paniscus), les chimpanzés robustes (Pan troglodytes) et les gorilles (Gorilla). (On notera au passage que, contrairement au modèle mytho-archaïque qui associe la bipédie du passage de la forêt à la savane, ce sont les bonobos très arboricoles qui sont les plus bipèdes ; puis les chimpanzés un peu plus savanicole et terrestres par endroits et enfin les gorilles à la fois les plus terrestres et les moins bipèdes.)

Quant au marché sur les phalanges ou MSP, c’est inconnu chez les hylobatidés. Les orangs outangs le font très rarement, préférant faire reposer le membre antérieur sur le dos de la main après une rotation interne (il doit exister un terme technique pour cela ; je pense que c’est en varus).

Les grands hominoïdes africains sont les champions ; ils le font sur de grosses branches (fréquent chez les deux chimpanzés ; peu chez les gorilles ; question de branches assez larges peu disponibles). Par ordre décroissant d’usage dans le cadre du répertoire locomoteur général : gorilles, chimpanzés robustes, chimpanzés graciles et hommes (clés perdues, lentille tombée sur le tapis de la salle de bain, une pièce d’un euro sur le trottoir, un paléoanthropologue qui tombe sur un fossile, un pékin bourré à la sortie d’un café et quelques positions du kamasutra comme le voyeur qui mate par le trou de la serrure …etc).

Etude phylogénétique.
Les bipédies comme le marché sur les phalanges semblent une caractéristique de hominoïdes africains. Cela se complique avec les formes fossiles européennes comme Oreopithecus et, peut-être, certains Dryopithecus. (Nos collègues espagnols poussent très fort cette hypothèse ; leur thèse étant que le tronc commun avant le DAC entre nous et les chimpanzés – pour faire simple – étaient européens, avec la bipédie à la clé, évidemment.)

Donc, si un prend un cadre phylogénétique élargi, les bipédies font partie du répertoire locomoteur des hominoïdes africains et européens depuis au moins 13 Ma, mais pas de leurs cousins asiatiques.

Quant au marché sur les phalanges – MSP-, il semble que ce ne soit que chez les chimpanzés et les gorilles. Il n’est pas évoqué pour les hominoïdes européens – mais je dois vérifier -. Certains auteurs pensent qu’il présent chez des fossiles d’hominidés comme Ardipithecus kadabba – là aussi je dois vérifier ; je précise au passage qu’on a trop négligé les hominoïdes fossiles de la fin du Miocène et que cette affaire est loin d’être éclaircie.

Dans cette perspective assez large, il semble que les bipédies aient été plus fréquentes que les MSP.

Systématique des hominidés actuels.

1ère hypothèse : les chimpanzés et les hommes forment un groupe monophylétique. C’est la phylogénie la plus parcimonieuse, surtout à partir de la systématique moléculaire et, si on y tient, de l’éthologie. En toute logique, cela signifie que le MSP est un caractère ancestral et que la bipédie est dérivée.

Mais comme il s’agit de fonctions, cela se gâte. On peut admettre que les aptitudes aux bipédies se développent dans la branche commune avant le DAC.

Cela signifie que les chimpanzés robustes ont un répertoire locomoteur proche du DAC et que les bonobos ont développé un peu plus la bipédie ; on sait ce qu’il en est dans la lignée humaine. Donc, un soupçon de parallélisme entre les chimpanzés graciles et les hommes. (Notons au passage que les premiers le font dans un environnement arboré humide et dense ; les autres dans des milieux de forêts plus sèches.)

2ème hypothèse : les gorilles et les chimpanzés constituent un groupe monophylétique. Je rappelle que de nombreux travaux en systématique moléculaire – cytogénétique aussi – soutiennent cet arbre et que les anatomistes aiment s’y accrocher.

Dans ce cas, les bipédies sont ancestrales et le MSP est dérivé chez les chimpanzés et les gorilles.

3ème hypothèse : les gorilles et les hommes représentent un groupe monophylétique. Quelques études l’admettent, mais on ne va pas compliquer les choses par plaisir et on laisse tout le plaisir à King Kong. On ne va pas en faire tout un cinéma !

4ème hypothèse. En effet, si on passe des fonctions aux caractères anatomiques, le MSP a pu être acquis parallèlement. En fait, qu’il s’agisse des bipédies et des MSP, le répertoire locomoteur très souple des grands hominoïdes admet l’un, l’autre ou les deux. Donc, d’un point de vue « aptatif », il est tellement facile de se balader sur deux pieds quand les circonstances le suscitent pour de simples raisons de commodités, et de même pour les MSP (il suffit de vous regarder quand vous vous appuyez sur une table pour diverses raisons).

En fait, les chimpanzés robustes et les gorilles sont massifs et se poser sur les phalanges est d’une grande facilité. Les études de biométrie/allométrie montrent comment il est facile de passer d’une morphologie d’un grand hominoïde africain à l’autre en faisant intervenir des processus hétérochroniques simples (cf. travaux de Christine Berges).

Avec les fossiles.
Là, rien ne va plus. Il faut dire que les paléoanthropologues n’ont eu de cesse de conserver une attitude gradualiste (sauf moi, mais tant que ce n’est pas un chercheur américain qui le dit ; c’est du pipeau.) Il faut attendre l’annonce du squelette d’Ardipithus ramidus l’année dernière pour qu’on change enfin de regard. (Mais bravo pour les commentaires puisqu’on ne trouve rien de mieux à de dire que « le singe descend de l’homme » !)

Ardipithecus ramidus n’est pas un homininé, en dépit de ses aptitudes à la bipédie et son foramen magnum très avancé. (Je rappelle que la flexion basicranienne et l’avancée du FM ne sont pas liés qu’à la bipédie ; vous pouvez en toucher un mot aux babouins geladas (Theropithecus gelada) et les gibbons (je dois vérifier). Une fois de plus, à force de ne regarder que les chimpanzés comme forme ancestrale, on reste dans le gradualisme archaïque.) Par de nombreux caractères dentaires, faciaux et de la base du crâne, Ardipithecus ramidus est bien plus proche de la lignée des chimpanzés. (Ces caractères de la base du crâne sont dans ma thèse, cela a été publié et cités par Tim White et Bernard Wood ; entre autres ; mais là aussi, mes collègues français s’en foutent.)

Voilà qui consolide l’hypothèse de bipédies ancestrales plus développées et diversifiées par le passé autour du DAC ; c’est bien le message que nous envoient aussi les Oréopithèques européens. Les gorilles l’auraient perdue en raison des contraintes pesantes sur leur répertoire locomoteur ; les chimpanzés robustes aussi, mais dans une moindre mesure et par convergence fonctionnelle ; les chimpanzés graciles seraient, sur ce point, assez proches du répertoire locomoteur du DAC ; quant aux fossiles d’hominidés autour du DAC, ils affichent une diversité d’aptitudes aux bipédies qui confortent ce schéma. En fait, les bipédies auraient évolué en « mosaïque » autour du DAC et même chez les australopithèques (cf. les hypothèses de B. Senut). Le grand pas en avant est pour Homo.

Derniers commentaires. Il serait temps de relire Darwin et de connaître les grands singes. Une fois au sol, on est soit bipède, soit quadrupède. Il n’y a pas eu de passage, à cause de la vie au sol, du MSP à la bipédie ou l’inverse ; tout cela tombe tout droit des arbres. IL FAUT ARRETER AVEC LE PARADIGME DE LA SAVANE. Tous les hominidés fossiles vivaient dans des habitats arborés. Seul Homo au sens strict s’affranchit du monde des arbres, il y a environ 2 MA ; et en ce temps là, les bipédies avaient déjà des millions d’années au compteur !

Voilà ; c’est un très bon sujet pour les terminales et ce n’est pas plus compliqué qu’un bon problème de physique ; à condition d’oublier la métaphysique et le scalisme.
Une dernière recommandation de Guillaume Lecointre : prenez la peine de lire les travaux de Pascal PICQ.
Verrouillé

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