l'évolution n'est-elle qu'une "théorie" ?

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Françoise Peltier
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l'évolution n'est-elle qu'une "théorie" ?

Message par Françoise Peltier »

Bonsoir,
j'ai une question sur l'évolution
Que répondre à une élève créationniste (comme ses parents qui sont pourtant médecin et chercheur scientifique !!!) qui nie la théorie de l'évolution. "Ce n'est qu'une théorie, rien n'est vérifié", dit-elle. Le père ajoute "je ne descends pas d'une mouche" !!!
ce n'est pas la 1ère fois que j'ai des élèves de ce genre, mais leur nombre augmente et leur aplomb avec !
j'ai organisé l'an dernier avec mes 3 classes de 3ème une discussion autour du thème de l'évolution avec "avocats des 2 parties". Les élèves devaient, avant le jour de la discussion, avoir réfléchi à leur "plaidoirie". Quelques élèves ont démonté avec beaucoup d'à-propos les arguments des créationnistes qui, bien sûr, sont restés sur leur position. Mais c'était intéressant car la parole ne venait pas de moi, mais de camarades de leur âge (sous mon contrôle tout de même !), donc c'était moins dogmatique et la discussion était très constructive.
Merci de me donner des pistes pour mieux "affronter" la discussion cette année !
cordialement
Françoise Peltier
Corinne FORTIN
Messages : 12
Enregistré le : 17 juin 2010, 15:52

Re: l'évolution n'est-elle qu'une "théorie" ?

Message par Corinne FORTIN »

Bonjour

votre message évoque deux points importants
- d'une part, l’expression la négation de l'évolution par des élèves créationnistes
- d'autre part, le débat, comme une réponse pédagogique possible à la contestation

Pour commencer, comment analyser l’expression de la négation de l'évolution ?
Une des difficultés majeures de l'enseignement de l'évolution est sans doute de rendre perceptible et concrète la transformation des espèces que nous ne voyons pas au quotidien, et à laquelle les élèves ont le sentiment qu'on leur demande de "croire". D'où, l'argument majeur des créationnistes, l'évolution n'est pas prouvée :" ce n'est qu'une théorie, rien n'est vérifié".
Bien évidemment, ici, l'élève utilise et comprend le mot théorie dans son sens commun, c'est-à-dire un possible improbable.

Les travaux menés en didactique de sciences, nous apprennent que la négation de l'évolution, au regard de la signification donnée au mot théorie, a deux origines possibles :
- soit, l'élève exprime un militantisme créationnisme virulent. Il vise alors à déstabiliser l'enseignant et à jeter le discrédit sur
l'enseignement de l'évolution
- soit, il fait un reproche déguisé à l'enseignant.
Il s'adresse à l'enseignant, comme représentant de l'institution Ecole, garante de la véracité du savoir transmis, pour lui demander : comment osez-vous nous enseigner quelque chose dont on est pas sûr et qui ne peut pas être prouvé (puisqu'il ne s'agit que d'une théorie). Auquel cas, la négation de l'évolution devient une interpellation quant à la légitimité d'un enseignement qu'il juge scientifiquement infondé.

Quoi qu'il en soit, dans les deux cas, la théorie est comprise uniquement comme une spéculation, et la suspicion à l'égard de l'évolution ne peut qu'en être renforcée. Pourquoi alors distinguer ces deux situations, si au bout du compte le résultat ce traduit par un même refus de l'évolution !
Parce que le débat, que vous avez proposé comme réponse pédagogique possible, permet d'explorer différentes formes d'argumentaires. Il permet, en partie, aussi de répondre aux deux situations.
Le débat peut être frontal "pour" ou "contre" l'évolution. Comme vous l'avez souligné, au terme de la confrontation, chacun reste sur ses positions, et finalement on se laisse enfermer dans le registre de la croyance : ceux qui « croient » en l'évolution et ceux qui n'y croient pas. C'est là, une des limites de cette forme de débat dont l'intérêt est cependant d'argumenter pour clarifier pour soi-même et pour les autres le fond de sa pensée.

Il est une autre piste possible de débat, c'est le débat "scientifique".
Il permet d'introduire la nécessité de la théorie, parce que les faits bruts ne parlent d‘eux-mêmes. Des exemples tirés de l'histoire des sciences peuvent nourrir ce type de débat. Ainsi, les mêmes données anatomiques peuvent-être analysées du point de vue de la fixité ou de la transformation des espèces. L'organisation anatomique des vertébrés peut être vue comme un exemple de fixité ou comme le produit d'un ancêtre commun.
Mais, la question posée par les élèves demeure toujours la même, quelle sont les preuves. Une analyse des textes de Cuvier et de Darwin permet de confronter les preuves annoncées, et de montrer aux élèves que le débat contradictoire et argumenté est aussi un agent de la construction du savoirs scientifique.
Ainsi, le débat « scientifique » conduit à démontrer que modèle explicatif de la fixité se heurte à une histoire du vivant qui nécessite une succession de "créations" ou de "générations spontanées". Tandis que celui de la transformation des espèces ne fait pas intervenir de causes extérieures à la nature, mais uniquement des causes naturelles (mutation, sélection, dérive génétique, etc.) pour expliquer un phénomène naturel.
La théorie de l'évolution est le seul modèle explicatif qui rend intelligible l'histoire du vivant car il en appel à les causes naturelles
(mutation, sélection, etc.) pour expliquer l'histoire naturelle du vivant. Quant aux preuves , il est possible de tester en laboratoire l'action des mécanismes évolutifs énoncés par la théorie (ex action de la sélection naturelle sur les mutations).

Quant à la citation du père de l'élève : "je ne descends pas d'une mouche", elle peut être interprétée
- soit, comme une formule rhétorique donc objectif est de clore la discussion en ridiculisant son contradicteur afin de ne pas être conduit à argumenter sur le fond
- soit, comme une formule qui traduit une confusion entre "parenté évolutive" ( descendance avec modification conduisant à la spéciation) et "parenté familiale" ( les enfants descendent de leurs parents). La citation suggère qu’il n’y a pas de rupture du flux génique. Le père conçoit ici l’évolution sur le mode unique de la « parenté familiale » :
la mouche donne naissance à l'homme. Ce raccourci effectué par le père est néanmoins intéressant, car pour nombre d’élèves non créationnistes, il y a aussi confusion cette entre « parenté évolutive » et « parenté familiale » ; ce qui constitue un obstacle à la compréhension de l’évolution.

Pour conclure, et pour répondre à votre question : que répondre à un élève créationniste qui nie la théorie de l’évolution ? Vous savez comme moi qu’il n’existe pas de réponse définitive et que la litanie des réponses scientifiques toutes faites aux questions des créationnismes n’a que peu d’impact sur leur conviction.

Ce qui me semble important, c’est de ne pas jouer le jeu des créationnistes, à savoir se justifier en permanence d’enseigner
l’évolution. Car ce qui compte, finalement, n’est-ce pas que les élèves, créationnistes ou non, comprennent que l’évolution n’est pas un dogme . La meilleure réponse est me semble-t-il dans un enseignement critique de l’évolution via par exemple le débat « scientifique" .

Cordialement
Corinne Fortin
Verrouillé

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