origine de la lignée humaine

Géologie - évolution
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pfriedling
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origine de la lignée humaine

Message par pfriedling »

Bonjour,

Une question sur la biodiversité intraspécifique humaine dans une perspective « historique »: à la fin de la partie du programme de TS sur l’étude de la lignée humaine, on aborde (rapidement) l’origine de l’Homme moderne. Les deux idées principales qui accréditent une origine africaine unique et africaine de l’Homme moderne, selon le document d’accompagnement du programme, sont qu’ « il n’y a pas d’allèles spécifiques à une population humaine» d’une part, et que « la plus grande diversité d’allèles se trouvant dans les populations africaines, l’Afrique serait le berceau de l’Homme moderne ». Mes questions sont :
- N’y a-t-il pas une contradiction dans les 2 propositions (pas d’allèles spécifiques – plus grande diversité chez les Africains) ?
- Comment expliquer cette plus grande diversité chez les Africains : est-ce parce que les autres populations sont issues de migrations n’ayant emporté qu’une partie limitée du pool génétique au départ ou est-ce que parce que la dérive génétique fait disparaître certains allèles dans les petites populations migrantes ? Les deux ? Ou pour d’autres raisons.
Merci d'avance pour vos éclaircissements.
Gilles ESCARGUEL
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Re: origine de la lignée humaine

Message par Gilles ESCARGUEL »

pfriedling a écrit : Une question sur la biodiversité intraspécifique humaine dans une perspective « historique »: à la fin de la partie du programme de TS sur l’étude de la lignée humaine, on aborde (rapidement) l’origine de l’Homme moderne. Les deux idées principales qui accréditent une origine africaine unique et africaine de l’Homme moderne, selon le document d’accompagnement du programme, sont qu’ « il n’y a pas d’allèles spécifiques à une population humaine» d’une part, et que « la plus grande diversité d’allèles se trouvant dans les populations africaines, l’Afrique serait le berceau de l’Homme moderne ».
Bon, là, je dois dire qu'on s'éloigne un peu de mes compétences. C'est un sujet vraiment très complexe et difficile et j'ai peur de dire des bêtises... Je vous encourage vivement à aller voir sur http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/biologi ... article389 la conférence de Ludovic Orlando concernant l'évolution de la lignée humaine vue par un paléo-généticien. C'est passionnant, et cela répondra surement à pas mal de vos questions sur ce sujet.

Je peux juste ici faire quelques petits commentaires.

D'abord, ce que nous voyons aujourd'hui de la diversité génétique humaine n'est jamais que la partie émergée de l'iceberg... Et comme pour un iceberg, ça n'est pas parce que on sait très bien décrire ce que l'on voit "au dessus de l'eau" que l'on sait de fait décrire ce qui est caché sous la ligne de flottaison. Autrement dit, les données actuelles sont extrêmement difficiles à interpréter en termes d'histoire évolutive du groupe humain, les interprétations faisant appel à des modèles mathématiques de génétique des populations qui permettent de simuler ce que l'on ne sait pas observer directement... Et comme différents modèles, tous légitimes à leur façon, existent, différents scénarios existent... Un exemple parmi d'autres des surprises que l'on peut trouver "sous l'eau". Il y a quelques mois à peine, des collègues allemands et russes ont publié une séquence d'ADN mitochondrial complète fossile de 40.000 ans (extraite d'un os humain sans qu'il soit possible d'être plus précis à ce niveau) provenant de Sibérie et correspondant à un type humain différent de l'Homme actuel et de l'Homme de néandertal, et séparée de la lignée qui mène à ces deux derniers depuis ~1 million d'années... De même pour l'Homme de Flores, un "Homo erectus nain" du sud est asiatique qui existait encore il y a à peine 20.000 ans : sa lignée s'est séparée de la notre il y a probablement ~800.000 ans. Ce que l'on voit aujourd'hui de la diversité humaine s.l. (= gnre Homo) est extraordinairement pauvre au regard de ce qui existait encore il y a quelques milliers d'années à peine, où au moins 4 lignées humaines au moins (probablement plus) séparées depuis des centaines de milliers d'années, coexistaient sur Terre.

Cela dit, si on focalise sur la seule diversité génétique de l'humanité actuelle, certains points paraissent plus sûrs que d'autres. Notamment le fait que l'Afrique a joué un rôle majeur dans la constitution du "pool" génétique humain actuel via au moins deux (pas une : l'humanité actuelle n'a très certainement pas un unique origine africaine, mais au moins deux origines africaines distinctes...) phases d'expansions démographiques et géographiques majeures en dehors de l'Afrique durant les ~250.000 dernières années (les scénarios d'origine mutli-régionale ancienne [> 1 million d'années] d'Homo sapiens sont aujourd'hui tous abandonnés). Sans parler des introgressions récentes (20.000 à 40.000 ans) possibles du génome néandertalien dans celui d'Homo sapiens, du moins en Eurasie, comme le suggère fortement la publication en Mai 2010 d'une séquence nucléaire néanderthalienne (3 individus différents) de ~4 millions de paires de bases, séquence montrant une plus grande similarité du génome néandertalien avec les génomes modernes eurasiatiques qu'africains. Mais il reste encore aujourd'hui difficile de trouver un consensus plus précis que cela. Notamment parce que les échanges génétiques entre populations même géographiquement éloignées (sur différents continents) sont la règle générale chez Homo sapiens (une espèce toujours en mouvement sur Terre), migrations plus ou moins amples s'étant dans une grande majorité de cas traduites par des phénomènes de croisements et non de remplacements. Le génome humain a toujours été en permanence mélangé, ce qui rend la détection de signatures génétiques à l'échelle populationelle très difficile.
pfriedling a écrit : Mes questions sont :
- N’y a-t-il pas une contradiction dans les 2 propositions (pas d’allèles spécifiques – plus grande diversité chez les Africains) ?
Je ne vois pas pourquoi. Pour un gène donné, la plupart des allèles connus se retrouvent un peu partout sur terre -- conséquence de migrations incessantes. Mais cela n'implique pas que le niveau moyen de variabilité génétique soit partout le même. De fait, il est effectivement maximal en Afrique, indiquant que ce continent a joué et continue de jouer un rôle de "réservoir" génétique pour tout le reste de l'humanité (grosso modo, la variabilité génétique inter-individuelle moyenne en Afrique est la même qu'entre deux individus pris au hasard sur Terre).
pfriedling a écrit : - Comment expliquer cette plus grande diversité chez les Africains : est-ce parce que les autres populations sont issues de migrations n’ayant emporté qu’une partie limitée du pool génétique au départ ou est-ce que parce que la dérive génétique fait disparaître certains allèles dans les petites populations migrantes ? Les deux ? Ou pour d’autres raisons.
A ma connaissance (encore une fois limitée...) cette question reste encore très débattue, notamment parce que suivant le type de modèle de génétique des populations qu'on va utiliser pour expliquer les observations actuelles, on va donner plus ou moins d'importances à différents types de mécanismes (dont les 2 que vous citez). L'explication la plus simple est de relier la plus grande diversité génétique observée en Afrique avec le fait que c'est là que vit Homo sapiens depuis le plus de temps

Pour aller plus loin ici, quelques cites plus ou moins spécialisés qui me semblent sérieux et bien documentés :
http://en.wikipedia.org/wiki/Recent_Afr ... ern_humans
http://www.hominides.com/html/dossiers/expansion.php
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%88ve_mitochondriale

Gilles.
pfriedling
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Re: origine de la lignée humaine

Message par pfriedling »

Merci pour ces réponses éclairantes et ces références. Notre histoire semble bien plus complexe que ce qu'on imagine. Encore une question cependant: qu'entend-on exatement par variabilité génétique ? Comment la mesure-t-on pour un gène polymorphe (ce n'est pas le nombre d'allèles différents dans la population...) ?
Gilles ESCARGUEL
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Re: origine de la lignée humaine

Message par Gilles ESCARGUEL »

pfriedling a écrit : Merci pour ces réponses éclairantes et ces références. Notre histoire semble bien plus complexe que ce qu'on imagine.
La génétique des populations humaines est quelque chose d'une complexité effroyable. Le genre humain a, depuis plusieurs 100aines de milliers d'années au moins, la bougeotte : il ne tient pas en place ! Regardez par exemple cette carte : http://www.utexas.edu/features/2007/anc ... medium.jpg où seuls quelques marqueurs mitochondriaux (en orange, partant de l' "Eve" mitochondriale) et du chr. Y (en bleu, partant de l' "Adam"-Y) d'H. sapiens parmis les mieux connus et compris sont représentés !... Et même pour un cas "simple" comme l'arrivée en Amérique depuis l'Asie (Chine-Tibet-Mongolie), remarquez que les différents marqueurs indiquent des dates de migrations différentes allant de 50.000 à 10.000 ans ! Même dans ce cas, plusieurs vagues migratoires se sont à l'évidence succédées, et donc in fine mélangées... Et c'est sans même intégrer ici les évidences d'introgressions de Néanderthal (Europe) dans H. sapiens, voire même d'Homo erectus (Asie) dans H. sapiens, qui ne font que brouiller un peu plus les cartes... Et quid des très premières vagues de peuplements eurasiatiques, comme l' "Homme de Dmanisi" ("Homo georgicus", Georgie, 1,8 millions d'années) ou celui d'Atapuerca/Gran Dolina ("Homo antecessor", Espagne, ~1 million d'années) : trouve t-on dans le génome humain actuel des traces de ces couches très anciennes d'humanité qui viendraient "brouiller le signal" en rajoutant de la variabilité génétique non directement expliquée par l'histoire biogéographique d'Homo sapiens ? En l'état, on n'en sait rien !
pfriedling a écrit : Encore une question cependant: qu'entend-on exatement par variabilité génétique ? Comment la mesure-t-on pour un gène polymorphe (ce n'est pas le nombre d'allèles différents dans la population...) ?
La variabilité génétique (au sein d'une même communauté de reproduction), c'est tout ce qui fait que les individus ne sont pas tous des clones les uns des autres... C'est donc en premier lieu une conséquence du couplage mutation/reproduction/dérive génétique/sélection naturelle, les trois premiers processus étant aléatoires. Elle peut fondamentalement se mesurer aux 3 niveaux différents d’appréhension de la biodiversité : gène - population/espèce - écosystème. Par exemple, le nombre et la fréquence des différents allèles identifiés pour un gène donné, le % d'individus polymorphique pour un/des locus/loci donné(s), le % de loci polymorphiques au sein de tout ou partie du génome. Tout dépend en fait du type de variabilité auquel on s'intéresse.

Gilles.
Verrouillé

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